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Le piéton de Naples sacrifié sur l’autel du Dieu moteur

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C’est l’oreille qui décide. A Naples, malheur à celui qui n’entend pas assez bien. Car c’est bien au bruit que le piéton jauge la taille et la vitesse du véhicule qui arrive dans son dos. Scooter ou moto, on pourra continuer à marcher, à condition de ne pas dévier de sa trajectoire. Voiture, ou pire, fourgonnette, il faudra se figer puis se pousser sur le côté. Dans les rues de Naples, la quasi-totalité des usagers circulent à pied, mais qu’importe. Tous les piétons, parents emmenant leurs enfants à l’école, vieilles paroissiennes sur le chemin de l’église, touristes insouciants, commerçants du quartier en quête d’un caffè ristretto, doivent laisser la place au Dieu Moteur.

Pourtant, les ruelles pavées du basalte du Vésuve tout proche sont à peine assez larges pour laisser passer une voiture. Le plan de la ville, en damier, date de l’Antiquité. Et les rues n’ont jamais été élargies. Le piéton le sait. Mais il s’incline. D’autant que les usagers motorisés n’hésitent jamais à klaxonner, soit de manière préventive, soit pour éviter un obstacle soudain, soit comme ça, pour rien.

La loi du plus fort. Dans la rue toute droite traversant de part en part le vieux Naples, qui porte plusieurs noms successifs mais que tout le monde appelle "Spaccanapoli", deux adolescents circulent sans casque sur un motorino. A leur vitesse, on les croirait sur l’autoroute. Qu’un piéton fasse mine de rester sur leur trajectoire, et il se fait traiter de fou. Via Portamedina, aux heures du marché, il faut se planquer entre les étals, là où les transactions se font, pour échapper au passage soudain d’un automobiliste pressé. Piazza Domenico Maggiore, une femme âgée, seule dans sa voiture, klaxonne pour se frayer un passage parmi la foule compacte de piétons. Seule contre tous, elle a raison. Car elle représente la Divinité. La loi du plus fort.

Même lorsque la rue est bordée d'un trottoir, rien n'assure au piéton une tranquillité méritée. Car il faut alors avancer entre les poubelles, les motos stationnées et celles qui empruntent le trottoir sans vergogne. Certains choisissent de rester sur la chaussée; au moins ils seront visibles. Que cette ville est belle ! Mais qu’il est pénible de devoir céder la place, à tout instant, à celui qui en a le droit. Même le Filobus, le nom donné en italien au trolleybus, doit parfois s’incliner face à la Voiture.

L'art de garer sa voiture érigé en théâtre. Dans les cours des superbes hôtels particuliers, sur la moindre petite place, sur le parvis des églises, le long de chaque trottoir, même lorsque la pente affiche plus de 10%, les Napolitains ont rangé leurs Trésors. Il s’agit souvent de petits modèles, contemporains, similaires les uns aux autres, mais adaptés à la morphologie de la ville. Dans une rue tranquille, on aperçoit de temps à autre une vieille Fiat Cinquecento, en forme de cochenille, dont on jurerait qu’elle fait partie du paysage depuis le Moyen-âge.

L’art de stationner son bolide tourne facilement à la scène de théâtre. Largo Madonna delle Grazie, sur un espace déjà totalement recouvert de voitures, trois hommes se sont arrêtés pour conseiller un automobiliste, lui donnent des instructions contradictoires, semblent le houspiller. En fait, ils viennent de se rencontrer.

Une rue piétonne. Miracle, Naples compte une rue piétonne. C’est via Toledo, que tout le monde appelle Via Roma, qui relie la vieille ville au Palais Royal. La rue est commerçante mais aussi cyclable, comme en témoignent les minuscules vélos dessinés dans le caniveau, perpendiculairement au sens de circulation. Parfois, comme sur la photo, on a artistiquement disposé des pochoirs fléchés. Quelques cyclistes empruntent la voie, et ne conçoivent pas de rouler lentement, malgré la foule. Pour avancer, ils font actionner la sonnette, reproduisant ainsi l’unique schéma qui prévaut dans les rues de Naples : la loi du plus fort.

A lire aussi : Naples et ses églises, dans Le Monde du 28 mai 2014.

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Les potelets métalliques, cauchemar du piéton

A Kiev, les piétons se cachent pour survivre (article écrit en 2012, donc avant)

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